18 十一月 2006

Mizoguchi et Célhia de Lavarène: même combat !


Dans ce mélodrame qui obtint en 1954 un lion d'argent au festival de Venise, Mizoguchi nous raconte le destin tourmenté d'une famille dont le père gouverneur est, pour ses idées jugées trop généreuses à l'égard des paysans, disgrâcié et doit s'exiler dans une province lointaine; quant à son épouse, en tentant de le rejoindre, elle croise pour son malheur, d'odieux marchands d'esclaves qui la privent de ses deux enfants: Zushio l'aîné et sa soeur Anju. la scène mérite qu'on s'y attarde: la mère campant avec ses enfants et sa domestique dans la nuit froide, noire et menaçante (on entend le cri des loups au loin) se voit offrir l'hospitalité par une vieille dame. Celle-ci lui conseille d'éviter la forêt et ses dangers potentiels, au profit plutôt de la voie d'eau. Mais à peine a-t-elle embarqué que le batelier quitte la berge, laissant les deux enfants sur la plage, promis au destin que l'on sait. L'eau (liquide amieutique) qui symbolise l'union de la mère à son enfant, lieu d'échange de flux par excellence, marque ici comme une frontère, une rupture infranchissable (au risque de la noyade). Déjà chez Murnau ("L'aurore"), on voyait cette conception de l'eau qui sépare la ville de la campagne et surtout lieu (une barque au milieu de la rivière) qu'un mari littéralement envoûté par sa maîtresse choisit, pour tuer sa femme.
Ce genre de séparation qu'on pouvait déjà trouver scandaleux dans le Japon du XIe siècle, perdure encore aujourd'hui et à une autre échelle comme en témoigne la journaliste Célhia de Lavarène, auteur de "Un visa pour l'enfer" - Une femme combat les marchands du sexe -et présidente de l'association Stop Trafficking of People (STOP). Je lui cède très humblement la parole:
Au Liberia, passer la nuit avec une gamine de quinze ans a un prix : 300 dollars. Guerre civile, pauvreté endémique et corruption généralisée ont favorisé le plus odieux des trafics : celui des êtres humains. Les victimes viennent du Maghreb ou des pays de l'Est, attirées par des promesses d'emplois fictifs. À l'arrivée, elles se retrouvent dans des bordels, prisonnières.
J'avais déjà lutté contre la prostitution forcée en Bosnie. C'est pourquoi le chef de la mission de l'ONU au Liberia m'a sollicitée (...) Des Balkans à l'Afrique subsaharienne, les crapules sont toutes pareilles, et leurs proies sont plongées dans la même détresse. Pourtant, le Liberia, c'était pire que tout ce que j'avais vu jusqu'alors. Les pourvoyeurs de « chair fraîche », soutenus par le pouvoir en place, me narguaient. Leurs clients ? Hauts fonctionnaires libériens, diplomates, membres d'organisations humanitaires, casques bleus. Ces derniers, sûrs de leur impunité, me narguaient plus encore. Ce que j'ai vécu à Monrovia, je ne peux pas le passer sous silence. Je veux prêter ma voix à ces jeunes filles dont personne n'a jamais voulu entendre les appels à l'aide. Je veux aussi que le monde découvre la face cachée d'une mission de l'ONU dans un petit coin d'Afrique abandonné des dieux, ses procédures kafkaïennes et ses dérives...

Merci Célhia de Lavarène de nous rappeler que le journalisme est un métier noble quand il est exercé à la façon d'un Albert Londres et qu'il s'éloigne de nos animateurs vedettes de télévision...