24 十一月 2006

Hitchcock et la peinture: "Pas de printemps pour Marnie"

On sait au moins depuis la récente exposition consacrée à Jean Renoir, la dette du cinéma à l'égard de la peinture. Oser la comparaison ne paraît donc plus aujourd'hui ni audacieux ni incongru. S'agissant d'Alfred Hitchcok, d'aucuns mentionent généralement son goût pour les couleurs. "Pas de printemps pour Marnie" nous offre de ce point de vue des contrastes saisissants: entre le fameux sac jaune de Marnie (Tippi Hedren)et son tailleur noir, sa robe jaune également et son beau cheval noir, l'encre rouge (sang) qu'elle renverse sur son chemisier blanc, etc.
Etrangement ce ne sont pas tant ces couleurs très vives en effet qui m'ont frappé quand j'ai redécouvert ce film sur Arte hier soir, mais plutôt l'utilisation que l'auteur de "Psychose" fait de la perspective. Ce qui le rapproche non pas tant de l'expressionnisme mais plutôt de la Renaissance italienne.
la première perspective nous montre Marnie de dos (mais on devine une femme superbe...) serrant son sac (rempli de l'argent qu'elle vient de dérober): elle marche le long du quai, s'apprêtant à monter dans un train pour changer de ville et de vie, disparaître pour renaître en d'autres termes. Un détail à retenir: la ligne d'horizon est cachée par le personnage.
Dès le plan suivant, une seconde perspective: Marnie vient d'arriver à l'hôtel. On la voit marcher encore mais cette fois, le long d'un couloir. Sur la gauche une porte s'ouvre, un client sort: c'est Hitchcock lui même signant son "tableau" à sa façon... Là encore le point de fuite est invisible, mais Marnie est si belle...
La troisième perspective est vertigineuse: la scène montre Marnie en train de d'ouvrir un coffre fort alors qu'au même moment sur la gauche toujours, une femme de ménage fait son apparition et s'approche lentement vers nous, c'est à dire de notre voleuse. le suspense est à son comble...
la quatrième perspective est très serrée donnant une impression désagréable à l'oeil, de promiscuité: la ligne de crête des immeubles converge vers un point de fuite situé vers le port. Mais celui-ci est à l'évidence un décor (trucage délibérémment grossier à mon sens), nous sommes dans un studio: Marnie vient rendre visite à sa mère qui jadis accueillait de jeunes marins chez elle...
Enfin le dernier plan du film, nous montre une ultime perspective: nous sommes dans le même quartier pauvre, Marnie et son mari Mark (Sean Connery) sortent de chez la mère où nous venons d'apprendre toute la vérité sur l'enfance tragique de l'héroïne et les raisons de son traumatisme. La perspective est donc logiquement ouverte: on découvre un vrai bateau au loin (et non plus un décor en carton) et des enfants s'animent tout près. Gageons que ce procédé pictural utilisé par Hitchcock est un moyen de nous montrer que l'avenir est ouvert et plein d'espoir pour ce couple.

La peinture pense pour citer le regretté Daniel Arasse...